Au matin, la douce vibration des moteurs envahit le Bou El Mogdad : la croisière débute. Le commandant Mamadou Goudiaby veille à la délicate manœuvre par laquelle commence ce voyage : un savant demi-tour en amont du pont Faidherbe et au milieu des bancs de sable pour placer le Bou dans le sens de la remontée du fleuve. Et nous voilà partis...
Nous quittons l'ancienne capitale. Sous nos yeux, le paysage défile lentement : un vaste delta où les oiseaux sont rois. Nous avons déjà changé d'univers.
Après quelques heures de navigation, nous arrivons en vue du barrage de Diama. Ce barrage a été bâti en 1986 à l'initiative de l'OMVS (Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal), organisme de gestion du fleuve qui rassemble les quatre états riverains : Sénégal, Mauritanie, Mali et Guinée. Le barrage lui-même est la propriété conjointe du Sénégal, de la Mauritanie et du Mali.
C'est un ouvrage destiné à empêcher la remontée des eaux salées de l'océan dans le fleuve. En effet, durant les sécheresses intenses des années 70 et 80, le sel remontait par le fleuve jusqu'à plus de 200 kilomètres à l'intérieur des terres, rendant impropres à la culture les terres riveraines et contraignant nombre de cultivateurs à tenter l'aventure de l'émigration vers l'Europe. Avec le barrage, on estime que ce sont plus de 130 000 hectares qui ont ainsi été rendus à l'agriculture. Et de fait, jusqu'à Podor terme de notre croisière, nous ne cesserons de voir des cultures maraichères prospérer grâce à l'eau du fleuve. Le barrage permet aussi d'alimenter en eau potable toute la ville de Nouakchott la capitale mauritanienne et près de 60% des besoins en eau de Dakar.
Enfin, le barrage est le seul pont existant sur les 813 kilomètres de frontière fluviale entre la Mauritanie et le Sénégal. Les postes douaniers situés aux deux extrémités du barrage régulent donc là le seul trafic routier transfrontalier possible. Jusqu'aux confins du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal, 800 kilomètres en amont de Diama, le seul contact possible entre les deux pays se fait au moyen de pirogues. Nous en verrons d'ailleurs beaucoup traverser le fleuve, passant en quelques coups de pagaie, d'un pays à l'autre.
Pour franchir le barrage de Diama, le Bou doit d'abord emprunter un long chenal enter les bancs de sable menant à une écluse étroite. Il n'est pas rare que le plat-bord du bateau frotte un peu... mais la manœuvre s'exécute dans un calme tout africain. Il faut dire que l'équipage effectue l'opération deux fois par semaine durant la saison.
Une fois le barrage franchi, on entre dans un paysage où le typha, une sorte de roseau, prospère partout, envahissant. Dans cette plaine alluviale, le fleuve se disperse par endroits en une multitude de bras au milieu desquels le bateau serpente. C'est un univers de silence, un paysage plat à perte de vue, désert, avec seulement de loin en loin quelques rares villages disséminés des deux côtés du fleuve.
Après le déjeuner pris à bord et l'indispensable sieste, une annexe nous mène à l'une des entrées du parc national du Djoudj classé par l'UNESCO au patrimoine mondial de l'humanité. Le Djoudj est un sanctuaire pour les oiseaux qui trouvent dans ses 16 000 hectares un havre de paix pour y passer l'hiver.
Parmi toutes les espèces qui s'abritent dans ce refuge, des milliers de pélicans. Le jour de notre venue, nous avons assisté aux tentatives de leurs "poussins" (de très bonne taille déjà) pour tenter leurs premiers envols. Il y a quelque chose de fascinant à observer ces gros oiseaux, gauches et patauds déployer leurs ailes immenses et trouver l'énergie de soulever leur lourde carcasse. Vraiment fascinant.
Au retour vers le bateau, la fraîcheur est tombée. Malheur à ceux qui, comme nous, n'ont pas prévu de coupe-vent.
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