L’eau est un bien rare au Sénégal. Les visiteurs de Keur Camape en prennent rapidement conscience car, même si le confort de la maison et ses réserves en eau assurent le bon approvisionnement des clients, en regardant la brousse alentours, chacun prend naturellement et rapidement la mesure de la rareté -et donc du caractère précieux- de la ressource en eau. Au fait ? D’où vient cette eau du robinet, sachant qu’il ne tombe pas une goutte de pluie entre le 1er novembre et le mois de juin ?
Au Sénégal, les approvisionnements en eau proviennent à la fois de quelques rares eaux de surface, pour beaucoup des réserves souterraines et, de manière prévisionnelle, d’usines de dessalement de l’eau de mer. Cela dépend à la fois des régions et des différents types de consommation.
Les phénomènes extrêmes liés à l’eau et sa pollution coûtent déjà au Sénégal plus de 10 % de son PIB chaque année. En 2021, la SENEAU, filiale du groupe Suez en charge du réseau d’adduction d’eau au Sénégal, a distribué plus de 183 millions de m3 à ses clients sénégalais, soit une augmentation de 12% en seulement 2 ans.
L’agriculture, grande consommatrice d'eau, trouve ses sources d’irrigation principalement dans les eaux de surface quand où elles existent à proximité. C’est ainsi que se développent le long des 3 principaux fleuves du pays (Sénégal, Casamance, Gambie) et le long de la Grande Côte toute une zone agricole vivrière. Dans les secteurs les plus éloignés de ces fleuves, comme autour de notre village de Nianing, toutes les cultures puisent leur eau dans des forages.
Les eaux souterraines ont toujours été une composante essentielle du potentiel en eau du Sénégal, mais encore plus prépondérante depuis la sécheresse qui a particulièrement sévi dans les années 1970-1980. En effet, bien que le pays dispose de fleuves de grande hydraulicité (plus de 26 milliards de m3 par an), de vastes zones, jadis traversées par des cours d'eau, sont devenues presque totalement dépourvues d'eau de surface par suite d’assèchement des rivières. Le Sénégal puise donc beaucoup dans ses réserves souterraines, ce qui accroit encore le caractère précieux de l’eau.
Les défis liés à la sécurité hydrique sont particulièrement nombreux dans le triangle Dakar-Mbour-Thiès où se trouve Keur Camape : c’est une région qui abrite plus de la moitié de la population sénégalaise, produit à elle seule 50 % du PIB du pays et a connu un taux de croissance de 4 % par an au cours de la dernière décennie. On estime que le niveau des prélèvements actuels devrait y augmenter de 30 % à 60 % d’ici 2035, renforçant le stress hydrique et mettant à l’épreuve la capacité de répondre à la demande d’une population en pleine urbanisation.
De plus, depuis 2011, la région est confrontée à un déficit en eau et à des risques de sécurité hydrique importants, notamment en matière de surexploitation des ressources, de pollution des nappes phréatiques et de menaces sur les zones humides et leurs écosystèmes. Ainsi le lac de Guiers : alimenté via un canal par le fleuve Sénégal, il fournit environ 40 % de l’eau de la région mais est menacé à la fois par la pollution en provenance de l’agriculture et les trop fortes demandes pour cette ressource limitée. Son volume de stockage estimé à 601 millions de m3 constitue de surcroît un écosystème particulièrement vital pour toute la partie Nord-Ouest du pays, mais aussi une réserve d’eau douce permanente très importante. La mise en eau du barrage de Diama sur le fleuve a permis en outre de porter son volume moyen de stockage à 680 millions de m3 et de réduire nettement la salinité de ses eaux.
Deux paroxysmes de sécheresses particulièrement sévères et étendus sont venus aggraver la tension sur l'eau : durant les années 1972 et 1973 puis 1982 à 1984, la pluviométrie a été anormalement basse. Le Sénégal prend certes sa source dans des régions méridionales plus arrosées que le Sahel où il s’écoule mais la sécheresse qui affecte le pays déborde désormais largement la seule zone sahélienne et se propage vers le sud. L’observation sur une longue période de ce phénomène lié au changement climatique permet donc d’annoncer une raréfaction croissante de la ressource en eau de surface du fleuve Sénégal.
En résumé, les tendances d’évolution des ressources hydriques du pays font apparaître en même temps une augmentation importante des besoins et une réduction prévisionnelle du volume des ressources disponibles, ce terrible effet ciseau jouant d'ailleurs tant sur les volumes que sur la qualité de l'eau disponible.
Dans ce contexte, le pays cherche depuis longtemps à diversifier ses sources d’approvisionnement en eau. C’est dans ce cadre qu’au printemps 2022 a été attribué à un groupement d’entreprises française, tunisienne et japonaise un marché d'un montant de 146 M€ financé par un prêt public japonais pour la conception, la construction et l’exploitation pendant 24 mois d’une usine de dessalement d’eau de mer aux Mamelles à Dakar. L’usine produira 50 000 m3 / jour (couvrant les besoins d'1 million d’habitants soit ¼ de la population dakaroise) avec une doublement possible à terme de ces volumes.
Un second projet, porté par des entreprises et capitaux saoudiens, a été signé en septembre 2022 qui sera lui implanté sur la Grande côte, à 40 kilomètres au nord de Dakar. C’est un groupement d’entreprises saoudiennes qui assurera le financement et l’exploitation de la future station qui devrait permettre la production de 300 .000 m3 / jour lors de sa mise en service, avec une augmentation possible jusqu’à 400 .000 m3 / jour.
A eux deux, ces projets en cours pourraient donc à terme couvrir les besoins en eau d’environ 10 millions d’habitants, ce qui fera sans doute alors du Sénégal un des pays au monde les plus largement couverts par cette source d’approvisionnement marine.
C’est une perspective plutôt rassurante qui permettra sans doute de moins solliciter les ressources souterraines du pays, lesquelles sont confrontées à un double problème de qualité des eaux et de renouvellement des stocks.
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